All is full of love
Avant son arrivée à Montluçon, Jade Boissin mène une recherche à propos de la ville, son histoire, sa sociologie passée et actuelle, ses légendes, ses récits. Elle contacte aussi une maison de retraite, des associations de théâtre et de danse, avec l’objectif d’échanger avec des personnes en couple. Ses recherches la mènent vers six personnes, trois couples, trois générations. Six personnes qui vont prendre le temps de poser et de discuter avec elle de leurs histoires respectives. Il en résulte un ensemble de portraits individuels, de portraits de couples, où chaque protagoniste se met en scène, seul.e ou avec l’autre. Claire, Ashille, Laurent, Violaine, Marie-Pierre et Michel jouent le jeu de la mise en scène de leurs corps et de leurs couples en adoptant des poses à la fois tendres, drôles et étranges.
Les moments de poses et d’échanges sont intenses, chacun.e livre son histoire, son intimité, sa pudeur, ses doutes, ses inquiétudes, ses fantasmes, ses tensions ou ses joies. L’artiste entre dans la sphère intime du couple pour en restituer quelques composantes ressenties comme la complicité, la complexité ou l’attachement. “Les modèles ne sont pas passifs. Je les implique dans le projet. Les personnes m’amènent dans leur histoire, qui fait écho à la mienne et à la vôtre”1. Parce que la représentation et l’exposition publiques de l’intime implique nécessairement une dimension collective, chaque oeuvre devient le support de projections plurielles. D’une manière ou d’une autre, chacun.e d’entre nous peut s’y retrouver. (…)
Extrait du texte de Julie Crenn pour le catalogue Atout Cœur
L’amour est un sentiment partagé par le groupe. Il nous ramène à nos propres expériences. A ce sujet, une toile se différencie des autres. La Dame de Coeur (2022). Il s’agit d’un portrait dédoublé d’Apolline, à la manière d’une carte de jeu. Deux portraits, deux expressions. Elle est la reine de coeur, l’atout coeur, “la figure symbolique de l’amour”.
L’oeuvre est le lien entre les séries antérieures, présentes et futures. Un lien qui manifeste l’attention que l’artiste porte au groupe et aux individus : leurs histoires, leurs réalités, leurs peurs et leurs attentes. Au fil des oeuvres, une cartographie sociologique et picturale se déploie dans le temps et l’espace. Une cartographie qui regorge d’indices, de secrets, de gestes, de lumières, d’objets, d’écoute, de temps. Le temps est une donnée fondamentale dans le travail non seulement de la peinture, mais aussi de la rencontre.
Jade Boissin manipule notre rapport au temps. Par le truchement, elle crée l’illusion de l’intemporalité, qui est déjouée par la présence de détails, de petits éléments qui nous ramènent inéluctablement à notre contemporanéité. Ce décalage temporel lui permet de poser des sujets de société. Le style académique, ressenti comme élitiste, est rapidement désamorcé par ces indices souvent chargés d’une pointe d’humour. Par la voie de la sociologie, l’artiste revient sur le terrain pour se laisser affecter par les autres et réveiller nos attentions.
Suite de l’extrait du texte de Julie Crenn pour le catalogue Atout Cœur